Le coup de foudre ou l'infatuation est un phénomène encore mal compris tant par les chercheurs que par les cliniciens. Elle produit des réactions neuro-végétatives semblables à l'anxiété aiguë: palpitations cardiaques, augmentation de la pression sanguine, sensations de faiblesse, réactions de transpiration et la bouche sèche. Par contre, au niveau cognitif, l'expérience est interprétée comme euphorisante et enivrante. La personne devient quasi obsessive, elle ne pense qu'à l'autre. Entêtée, elle cherche par tous les moyens à revoir l'être désiré, peu importe son statut civil. Hélène se comportait comme une héroïnomane en besoin: «Je ne peux plus me concentrer sur mon travail, je ne dors plus, je ne pense qu'à lui».
Le cerveau
Comme dans le cas de la cyclothymie, ou si vous préférez de la maniaco-dépression, la chimie du cerveau est modifiée, c'est un véritable cocktail chimique. Plus de 250 substances interviennent, dont la petite molécule appelée phényléthylamine ou PEA, la norépinéphrine et la dopamine. Une étude montre que lorsque les singes rhésus sont injectés de PEA, ils deviennent spontanément en chaleur et manifestent des comportements de séduction. Après un certain temps, ils développent une dépendance à la PEA, si bien qu'ils deviennent agressifs lorsqu'ils sont sevrés. Cette substance pourrait jouer un rôle important dans les paraphilies comme la pédophilie, le fétichisme, etc. Certains antidépresseurs composés de l'inhibiteur monoamine oxydase «ou MAO» auraient pour effet de modifier l'effet du PEA, permettant un meilleur contrôle de soi chez les dépendants sexuels.
Les cartes cognitives amoureuses
Les cartes amoureuses ou «Love Maps» sont des schémas dans le cerveau représentant le profil de la personne idéale. Selon le Dr John Money, un spécialiste en la matière, ces schémas amoureux sont «encriptés» sous forme d'empreintes, comme des empreintes digitales au cerveau. Ces cartes amoureuses ou «CA» seraient encriptées entre l'âge de 5 ans et 8 ans. L'enfant, à son insu, s'inspirerait des expériences vécues avec les parents, la famille, les amis et le milieu pour construire le profil de la personne vers laquelle il sera attiré. Le cerveau intégrerait tous les éléments positifs, les traits de personnalité, les caractéristiques physiques et comportementales, comme le regard, le timbre de la voix, l'odeur, la manière d'agir avec autrui, etc. Ces données sont finalement réduites au plus petit dénominateur commun appelé: CA.
Les noyaux amygdaliens, parties du cerveau connectées avec la perception, le système émotionnel et les systèmes sensoriels, capte minutieusement chaque détail physique et psychologique, et l'identifie sur le plan émotionnel, soit au niveau de l'hypothalamus, le siège de nos émotions dans le cerveau. «Lorsque le profil correspond exactement à la carte cognitive amoureuse, l'individu est foudroyé», explique le Dr Money. Certains chercheurs prétendent que l'odeur joue également un rôle très important dans la genèse du coup de foudre.
L'odeur
La semaine dernière, je vous ai expliqué que certains chercheurs prétendent que les cartes cognitives amoureuses ou «Love Maps» sont à la base de l'infatuation. Comme vous le savez, l'infatuation est un phénomène complexe et encore mal compris par les scientifiques de l'amour. Toutefois, ces derniers prétendent que l'odeur aurait également un rôle important à jouer dans le processus du coup de foudre.
À cet effet, certains chercheurs prétendent que les phéromones, des odeurs infrasensorielles, seraient détectées inconsciemment par les neurones olfactifs. Selon le Dr Helen Fisher, du département d'anthropologie de l'Université Rutgers, il y aurait environ cinq millions de neurones olfactifs impliqués dans la reconnaissance des odeurs. Chaque individu aurait sa propre odeur. Par exemple, on sait que les nouveau-nés peuvent identifier leur mère par l'odeur. L'autre jour, ma fille Audrey avait emprunté, en sourdine, mon oreiller pour s'endormir. Je lui ai demandé pourquoi elle prenait toujours mon oreiller. Elle m'a répondu spontanément: «J'aime te sentir», comme si l'odeur la sécurisait et l'aidait à s'endormir en toute quiétude.
Les glandes apocrines
Toutes les personnes ont des glandes apocrines sous les bras, autour des mamelons et aux aines. Ces glandes produiraient, dit-on, un aphrodisiaque très puissant qui serait directement relié au phénomène de l'infatuation. Chez les animaux, par exemple, il est bien connu que l'odeur joue un rôle prépondérant durant la période de rut ou de chaleur. Par ailleurs, il est également raisonnable de penser que l'odeur naturelle de certaines personnes a un effet inhibiteur ou repoussant. Le drame, c'est que certaines personnes se retrouvent ensemble alors que l'odeur est incompatible. Cette difficulté pourrait, croit-on, expliquer certains problèmes d'appétit sexuel ou une faible fréquence de relations sexuelles.
Certains sociobiologistes croient aussi que les glandes bulbo-uréthrales «ou de Bartholin» , situées à l'entrée du vagin de la femme, sont un vestige de glandes jadis impliquées dans le comportement de rut chez les humains. À cet effet, durant les années 50, Masters et Johnson croyaient que ces glandes sécrétaient un liquide pour aider la lubrification lors de l'excitation sexuelle. Plus tard, ils ont révisé leur position en indiquant que ces glandes produisent des gouttelettes ayant des propriétés odorifiques qui stimulent le désir sexuel, soit un genre de parfum aphrodisiaque.
L'organe voméronasal
Cet organe, situé dans le nez des êtres humains, a été découvert au début des années 90. Certains chercheurs spéculent que cet organe, qui ressemble à un tout petit appendice, pourrait détecter des odeurs inodores «perçues inconsciemment» à quelques mètres de distance. Cet organe pourrait également être impliqué dans le phénomène du coup de foudre.
Métamorphose et évolution
Évidemment, la culture nous enseigne subtilement ce qui est beau et laid. Au Tonga, par exemple, les femmes très minces sont perçues comme très belles et séduisantes alors que les femmes sirionosses de la Bolivie mangent continuellement pour être grosses et attrayantes.
Le style vestimentaire, l'allure ou le «look», p. ex., le nez percé, les cheveux jaunes ou bleus, rasés ou long, coiffés ou non, le maquillage ou non, les parfums, les bijoux, les souliers, et cetera, s'ajoutent à la genèse du coup de foudre. La mode doit changer, semble-t-il, pour que nous soyons continuellement stimulés. Tantôt longue pour qu'on devine ce qu'il y a dessous. Tantôt courte afin apprécier les attributs. En matière d'infatuation, par contre, l'habituation produit un effet inhibiteur et la nouveauté un effet stimulateur. En effet, il est rare qu'on développe un coup de foudre pour quelqu'un qu'on connaît déjà.
Les cartes amoureuses ou «Love Maps», l'odeur, les hormones, la nouveauté et la culture sont des variables importantes impliquées dans la chimie de l'infatuation. Le jeu complexe et délicat entre l'inné et l'acquis influence tant nos perceptions que nos émotions passionnelles.
Quelques conseils pratiques
Il faut savoir que le coup de foudre «ou l'explosion chimique amoureuse» est éphémère. En effet, l'habituation à une personne produit généralement un effet de désensibilisation. Par contre, vous aurez probablement toujours une attirance physique pour cette personne. Si vous êtes déjà impliqué dans une relation amoureuse, méfiez-vous, car vous découvrirez peut-être une personne avec de vilains défauts. Ce que l'on perçoit d'une personne pendant les premières rencontres est souvent bien différent de ce qu'elle est en réalité. En matière de CA, il semble que l'humain a naturellement tendance à surévaluer les qualités de la personne désirée. Les gènes nous programment à aimer, la CA déclenche la chimie et l'optimisme prévaut, d'où vient le dicton «L'amour est aveugle». Par ailleurs, si vous êtes tous les deux célibataires: Vogue la galère !
Ouvrages sur le sujet :
- Fisher, H. Why We Love: the Nature and Chemistry of Romantic Love
- Fisher, H. Anatomy of Love: A Natural History of Mating, Marriage, and Why We Stray
- Sternberg, R. The Psychology of Love. Yale University Press
- Sternberg, R. The New Psychology of Love. Yale University Press, 2006
Préparé par le Dr Michel R. Campbell, psychologue et sexologue